Fleurs

L’un des premiers bouquets immortalisés par l’artiste apparaît dans Vue de la fenêtre à Vitebsk, 1908. Un vase de fleurs scintillantes est placé sur le rebord de la fenêtre, telle une manifestation du regard illuminé du peintre depuis l’intimité rassurante de sa chambre vers un extérieur où un arc-en-ciel luisant annonce joie et sérénité. Les premières représentations des fleurs dans l’œuvre de Chagall sont inspirées par la présence de Bella Rosenfeld, que l’artiste rencontre en été 1909. Un bouquet élégant et coloré qui lui a été offert par Bella sera notamment à l’origine du célèbre tableau plein de jubilation amoureuse, L’Anniversaire, 1915. 
Au retour de Chagall en France, en 1923, les fleurs se déploient à foison dans l’espace du tableau. Représentées souvent dans un environnement extérieur, elles forment comme un « lien entre le peintre et un paysage nouveau », devenant un moyen d’enracinement de l’artiste en quête d’une nouvelle identité dans son pays d’adoption. L’immersion dans des paysages naturels au cours de multiples voyages en France mais aussi la révélation de couleurs nouvelles s’accomplissent à travers l’étude des fleurs : « L’abondance et la variété des fleurs m’émerveillaient et me fascinaient. […] Cette profusion de fleurs avait contribué pour beaucoup à développer la palette des meilleurs artistes français. » Pour Chagall, reconnu de son vivant en sa qualité de grand coloriste, ce sont les peintres français, notamment les impressionnistes, qui ont su faire le meilleur usage du « pigment floral » et opérer ainsi une « chimie » si chère à l’artiste, à savoir, insuffler la vie à la couleur.
Savamment agencées dans des centaines de compositions, les fleurs de Chagall s’y répandent et y prennent vie. Jamais cantonnés au rôle de simples accessoires, les bouquets sont signifiants, voire personnifiés, à l’instar du « portrait » fleuri dans Fleurs sur la chaise, 1926. Expression de l’indicible, d’un sentiment profond reliant l’artiste au monde et à la vie même (cf. La Paix ou L’Arbre de vie, 1976, vitrail, chapelle des Cordeliers de Sarrebourg), les fleurs sont par ailleurs une figure sacrificielle durant les périodes de menace et de guerre : « Ce ne sont pas les pauvres et les innocents qu’il fallait mettre dans les prisons mais plutôt les fleurs niçoises, meurtries et orphelines ; et les jeter dans les fours. Ces personnes n’ont pas besoin des fleurs. » Installé dans le Midi à partir de 1951, Chagall est fasciné par la lumière et par la luxuriante végétation méditerranéenne. Déclinées dans toutes les techniques pratiquées par l’artiste, les fleurs – floconneuses, étincelantes, vibrantes, exaltées – l’accompagneront et le transcenderont tout au long de son œuvre.

L’atelier d’artiste est un thème récurrent de l’histoire de l’art, qu’il soit dessiné, peint ou photographié. Ce lieu fascine en tant que berceau du geste créateur, vision romantique de l’atelier héritée du XIXe siècle. Durant ce siècle, un véritable mythe se construit autour de la figure de l’artiste, admiré, qui devient « prescripteur de goût1 » pour la bourgeoisie et les bohèmes s’inspirant de son mode de vie, souvent fantasmé. Au début du XXe siècle, l’atelier devient alors un modèle architectural à Paris, inspirant de nouvelles constructions illuminées par de grandes verrières et une belle hauteur sous plafond, dans lesquelles la décoration poursuit cette recherche de la « vie bohème », créée par des mises en scène et des accumulations d’objets plus ou moins luxueux2. Plus tard, l’atelier de Chagall perpétue cette image et s’inscrit dans cette représentation mentale collective. Des photographies provenant des Archives Marc et Ida Chagall et les représentations de l’atelier permettent d’entrevoir l’atmosphère de ces espaces de création. Ces lieux sont en effet pluriels, suivant les nombreuses installations du peintre en Russie, en France, en Allemagne et en exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet espace de l’atelier, prenant de l’ampleur, a suivi l’évolution du statut social et de la reconnaissance de Chagall en tant qu’artiste, de son séjour à la Ruche de 1912 à 1914, une cité d’ateliers-logements du quartier de Vaugirard, jusqu’à la construction de la villa La Colline à Saint-Paul-de-Vence, où l’artiste s’installe en 1966. Ces lieux sont synonymes de rencontres et de collaborations lorsque Chagall aborde d’autres pratiques artistiques, ce qui transcende une vision très personnelle de l’atelier.

Les œuvres représentant son atelier permettent de mettre en lumière sa fonction et le rôle spécifique que lui assigne l’artiste. Chagall ne peint pas en plein air : « Je peignais à ma fenêtre, jamais je ne me promenais dans la rue avec ma boîte de couleurs », affirme-t-il dans Ma vie3. L’atelier est un lieu charnière, matérialisant la rencontre entre l’intérieur et l’extérieur, cristallisée par la fenêtre. De la même manière que l’autoportrait, ces représentations de l’atelier témoignent de la réflexion de Chagall sur son statut d’artiste, telle une fenêtre sur son monde.

1 Manuel Charpy, « Les ateliers d’artistes et leurs voisinages. Espaces et scènes urbaines des modes bourgeoises à Paris entre 1830-1914 », Histoire urbaine, vol. 26, n° 3, 2009, p. 43-68.

2 Ibid.

3 Marc Chagall, Ma vie, Paris, réédition Stock, 1983, p. 166, in Élisabeth Pacoud-Rème, « Chagall, fenêtres sur l’œuvre », in Chagall, un peintre à la fenêtre (cat. exp., Nice, Musée national Marc Chagall, 25 juin-13 octobre 2008, Münster, Graphikmuseum Pablo Picasso Münster, 13 novembre-4 mars 2009), Paris, Réunion des musées nationaux, 2008, p. 33.