Mosaïque

Le Fleuve vert, Groupe scolaire La Fontette, Saint-Paul-de-Vence

Le Fleuve vert a un statut à part dans le corpus des mosaïques de Marc Chagall. Il s’agit de la seule œuvre posthume, inaugurée le 29 mars 19861. Les informations sur le contexte de création se faisant rares, la genèse du projet et les études existantes sur les mosaïques de Chagall sont très lacunaires sur cette œuvre2. C’est Marius Issert, maire de Saint-Paul-de-Vence à l’époque, qui a l’idée de décorer la cour de l’école maternelle du groupe scolaire La Fontette, conçu par l’architecte Michel Mosser3, et qui obtient l’autorisation de Valentina Chagall de transposer une œuvre de l’artiste en mosaïque4. La mosaïste Heidi Melano est alors chargée de la réalisation5. André Verdet, le poète saint-paulois, aurait joué un rôle d’intermédiaire6.

Si le projet prend forme après le décès de Chagall, on peut supposer qu’il fut amorcé de son vivant. Il existe en effet une gouache préparatoire, dont l’examen attentif révèle la présence d’une mise au carreau – quadrillage tracé légèrement –, dispositif permettant d’agrandir une œuvre, en particulier pour créer un format monumental.

Bien plus que de la gouache, la mosaïque est proche de la lithographie originale éponyme, tirée dans les ateliers de Fernand Mourlot en 1974 pour être insérée dans la monographie d’André Pieyre de Mandiargues, consacrée à Chagall. Elle y figure en début d’ouvrage sur une double-page, pliée au milieu7. La composition et les couleurs sont quasi identiques, la mosaïque les reproduit fidèlement. Quant à la gouache, d’après de très récentes observations, celle-ci ne peut vraisemblablement pas correspondre à une esquisse pour la lithographie, se rapportant plutôt à une œuvre plus tardive destinée à devenir monumentale8.
Sur un fond clair, la composition de la mosaïque se construit autour de quatre larges bandes horizontales de couleur – bleu, vert, rouge, jaune – rendant l’ensemble bien visible de loin9. Sont disposés dans cette structure divers éléments – un oiseau, un cheval, une tête qui a quitté « son » corps, motifs que l’on retrouve à travers l’œuvre de Chagall, que l’artiste modifie et déplace « à la manière de pions sur un échiquier10 ». Plus qu’un échiquier, cette disposition fait penser à du papier à musique avec des notes, et l’on connaît l’amour profond de Chagall pour la musique11.
Au milieu de la composition il y a un arbre, dont la position centrale renvoie à l’antique motif moyen-oriental de l’Arbre de vie qui persiste jusqu’aux mosaïques byzantines de Ravenne et à l’ornement populaire juif. En 1974, Chagall travaille aussi sur les esquisses préparatoires du vitrail de Sarrebourg, figurant un Arbre de vie12. L’arbre est donc le pivot de la composition de la mosaïque, et sa présence accentue, par contraste, le caractère fluide de l’ensemble. Car le sujet de l’œuvre, c’est le fleuve. Thème chagallien récurrent d’époques différentes – où se mélangent la Seine à Paris et la Dvina à Vitebsk –, il est ici schématique, réduit à de larges bandes qui emportent tout dans leur flot. Mais on reconnaît à droite les maisons de Vitebsk, sa ville natale, qui restent immuables – l’ancrage originel de l’artiste, son rivage éternel.

On ne saura peut-être jamais quelles étaient les intentions de l’artiste. Mais on peut lire cette mosaïque comme une métaphore du temps qui passe sur le mur d’un bâtiment par essence tourné vers l’avenir, un univers tout ce qu’il y a de chagallien dans un paysage devenu familier à l’artiste et baigné de la lumière du Midi.

Agnes Stankevitch
1 Georges Bertolino, « Une mosaïque de Marc Chagall pour l’école de Saint-Paul, cité où le peintre mourut il y a un an », Nice-Matin, 30 mars 1986, p. 3 ; Marius Issert, « Les compliments de M. Issert », Saint-Paul Revue municipale, juin 1986, p. 25-26.
2 Au sujet de la genèse de l’œuvre, les recherches dans les archives municipales ou nationales ont été infructueuses ; les Archives Marc et Ida Chagall conservent des échanges avec Michel Tharin en 1976 au sujet d’un projet non réalisé de mosaïque d’après une lithographie, mais il s’agit visiblement d’un format vertical.
3 L’école inaugurée en octobre 1985 est située en dehors du village médiéval, en contrebas, du côté opposé à la mer ; la mosaïque faisait peut-être partie intégrante du projet initial.
4 Marius Issert, Saint-Paul. Souvenirs d’un maire 1945-1995, Saint-Paul-de-Vence, Éditions de la commune de Saint-Paul, 2000.
5 Marc Chagall cesse de collaborer avec Lino Melano en 1973 ; ce dernier décède en 1979. Après la fin de la collaboration avec l’artiste, la mosaïste a continué à créer des projets personnels et d’après Jean-Michel Folon, Georges Braque ou Zao Wou-Ki. Sa technique est proche de celle de Lino.
6 Op. cit. Issert, 1986, p. 25-26.
7 L’ouvrage est tiré à dix mille exemplaires en différentes langues. Ces épreuves ne sont pas signées dans l’ouvrage. En plus sont tirés cinquante exemplaires signés, numérotés et non pliés, ainsi que cinquante épreuves à grandes marges sur Velin d'Arches, numérotées et signées, au format papier 42 × 67 cm, illustration 28 × 55 cm. Éditions Maeght, Paris.
8 Difficile de comprendre aujourd’hui pourquoi la lithographie a servi de maquette plutôt que la gouache, la confusion qui suivit la disparition de Chagall auprès de ses proches pourrait-elle l’expliquer ?
9 La mosaïque surplombe de quelques mètres la cour de l’école ; on l’aperçoit de la route menant à Cagnes-sur-Mer ; un petit square aménagé permet un point de vue à plusieurs dizaines de mètres.
10 André Pieyre de Mandiargues, Chagall, Paris, Maeght, 1975, p. 58.
11 Ambre Gauthier, « Marc Chagall, les résonances de la matière », in Ambre Gauthier, Meret Meyer (dir.), Chagall et la Musique, cat. exp. (Paris, musée de la Musique-Philharmonie de Paris, 13 octobre 2015-31 janvier 2016 ; Roubaix, La Piscine-musée d’Art et d’Industrie, 24 octobre 2015-31 janvier 2016), Paris, Gallimard, 2015.
12 L’arbre est aussi l’élément central de la mosaïque La Fête heureuse, que Chagall conçoit pour la résidence de Jean-Paul Binet à Saint-Paul-de-Vence, réalisée en 1971-1972.
Publié originellement dans le catalogue De pierre et de verre. Chagall en mosaïque
© GrandPalaisRmn, Paris, 2025

Mots-clés :

Paysages / lieux, Animaux

Œuvres liées

  • Marc CHAGALL, en collaboration avec Heïdi MELANO, Le Fleuve vert, Groupe scolaire La Fontette, Saint-Paul-de-Vence, 1985 - 1986, pierres et pâtes de verre, 250 x 500 cm, Groupe scolaire La Fontette, Saint-Paul-de-Vence © François Fernandez / GrandPalaisRmn/ADAGP, Paris, 2025

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