Mosaïque

Moïse sauvé des eaux, Cathédrale Notre-Dame de la Nativité, Vence

En 1979, Marc Chagall crée une mosaïque murale destinée à orner la cathédrale Notre-Dame-de-la-Nativité à Vence, témoignant ainsi son profond attachement à la ville dans laquelle il a résidé entre 1949 et 1966. Celle-ci est réalisée à la demande de la Ville et du père Munier, curé de la paroisse, par l’intermédiaire de son ami Louis Trotabas1, doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Nice de 1962 à 1968 et résident à Vence, qui avait déjà été impliqué onze ans plus tôt dans la commande de la mosaïque du Message d’Ulysse pour la faculté de droit de Nice2. Intitulée Moïse sauvé des eaux, elle est la dernière mosaïque exécutée du vivant de Chagall, alors âgé de 92 ans.

La cathédrale Notre-Dame-de-la-Nativité, édifiée au XIe siècle sur des vestiges antiques, se dresse au cœur de la ville des hauts plateaux des Préalpes, baignée par le soleil méditerranéen. Au fil des siècles, le monument subit de nombreuses transformations3. C’est dans la chapelle des fonts baptismaux que se trouve la mosaïque, enchâssée dans un cadre en gypse datant du XVIIe siècle. Ce décor à deux colonnes, surmontées d’un fronton d’inspiration antique, avait probablement été conçu originellement pour accueillir un grand tableau aujourd’hui disparu. Il porte le blason de Mgr Godeau, évêque de Vence de 1638 à 16724, qui fut à l’initiative de nombreux travaux au sein de la cathédrale.

La mosaïque de la cathédrale de Vence s’inscrit dans la lignée des œuvres monumentales imaginées par Chagall destinée à des édifices religieux. Elle prolonge une réflexion artistique inaugurée avec le cycle du Message Biblique et poursuivie jusqu’au Repas des anges, une mosaïque créée quatre ans auparavant pour la chapelle Sainte-Roseline aux Arcs-sur-Argens5. Pour la cathédrale de Vence, Marc Chagall s’inspire d’un épisode de l’Exode, Moïse sauvé des eaux, présent dans l’Ancien Testament6.

Sur un fond de tesselles de marbre clair, dans une palette lumineuse ponctuée de touches colorées, la mosaïque représente la découverte du nouveau-né Moïse dérivant sur les eaux du Nil. À droite, la fille de Pharaon, accompagnée par deux suivantes, tend les bras vers l’enfant qui repose dans un couffin, au centre de la composition. Les couleurs chatoyantes de la végétation et les eaux scintillantes du Nil renvoient aux riches étoffes des femmes. À l’arrière-plan, la silhouette d’une pyramide surplombée par un grand soleil ancre la scène dans l’Égypte antique du récit biblique.

Moïse est l’une des figures emblématiques de l’œuvre de Chagall. En délivrant le peuple hébreu de la domination égyptienne pour le conduire vers la Terre promise, le prophète porte un message universel d’espoir et de délivrance pour l’humanité. Chagall introduit dans la composition de la mosaïque des éléments évocateurs, un ange et un arc-en-ciel qui dominent la scène. Ils constituent tous les deux des symboles de l’alliance divine. L’ange, messager céleste, s’incarne comme l'intercesseur entre Dieu et les hommes, porteur de la promesse d’un avenir glorieux pour Moïse. Quant à l’arc-en-ciel, motif récurrent dans les œuvres bibliques de Chagall7, il peut s’interpréter comme un pont céleste, métaphore du lien entre le monde divin et celui des hommes. Le dessin préparatoire de la mosaïque, que Chagall propose pour la cathédrale, s’inspire nettement de deux autres représentations de l’épisode réalisées plusieurs années auparavant. La première interprétation de Moïse sauvé des eaux du Nil remonte à 1931, dans une des gouaches de la Bible, conçues pour le marchand d’art Ambroise Vollard. Plus tard, entre 1965 et 1966, Chagall revisite le thème dans une gouache destinée au livre illustré Exodus. Ces deux œuvres se distinguent de la mosaïque de Vence par le traitement très sobre de la scène, qui se concentre uniquement sur les personnages principaux du récit, sans intégrer les figures de l’arc-en-ciel ou de l’ange.

Pour le baptistère de la cathédrale, Chagall interprète cet événement comme une scène prophétique du sacrement chrétien du baptême, tel qu’il est révélé dans le Nouveau Testament. Le thème de la scène, l’accueil de Moïse nouveau-né, fait écho au principe fondamental du baptême, par lequel l’Église reçoit le nouveau fidèle. Par ailleurs, Chagall avait déjà créé une œuvre monumentale pour un baptistère. En 1956, à la demande du père Marie-Alain Couturier et de l’abbé Jean Devémy, il imagine une vaste composition de quatre-vingt-dix carreaux de céramique pour la chapelle baptismale de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce au plateau-d’Assy8. Pour ce premier projet au sein d’un édifice religieux, Chagall choisit de représenter un passage de la vie de Moïse, la traversée de la mer Rouge, tiré également du livre de l’Exode dans l’Ancien Testament. Ces deux épisodes préfigurent chez Chagall le sacrement du baptême et revêtent une double interprétation, à la fois juive et chrétienne. Ainsi, tout en restant fidèle à sa foi juive, Chagall confère à la mosaïque l’expression d’un message œcuménique de dialogue entre les religions.

Pour la réalisation de cette mosaïque, Chagall fait appel à Michel Tharin, proche collaborateur de Lino Melano depuis 1971 et mosaïste exclusif de Chagall à partir de 19739. L’exécution de l’œuvre se déroule durant les mois d’août et de septembre 197910. Fidèle à la tradition de Ravenne, Tharin compose la mosaïque avec une alternance de tesselles de marbre et de pâte de verre qu’il intègre au mortier selon des inclinaisons variées, jouant ainsi avec les reflets de la lumière, comme les membres du Gruppo Mosaicisti l’ont fait. Moïse sauvé des eaux se distingue néanmoins des précédentes mosaïques de Chagall par des singularités telles que le choix de contours en camaïeu de marron plutôt qu’en noir. Elle est l’unique exemple dans lequel la régularité carrée des tesselles produit un contraste saisissant entre les grandes dimensions de celles-ci et le format modeste de l’œuvre.

La mosaïque est inaugurée le 16 décembre 1979 en présence de Chagall, accompagné de ses amis Louis Trotabas et André Verdet ainsi que de Michel Tharin. Le dévoilement de l’œuvre attire également de nombreuses personnalités locales : membres du clergé dont le père Munier, et responsables politiques tels que la députée maire de Cagnes-sur-Mer, Suzanne Sauvaigo, le sénateur Francis Palmero ou encore le maire de Vence Jean Maret11. La présentation de l’œuvre au public est accompagnée de l’exposition dans la cathédrale de trente et une estampes choisies parmi les cent cinq gravures réalisées par Chagall d’illustration de la Bible éditée en 1956 par Tériade.

Eva Pasquier
1 « Jeudi nous avons eu les Chagall à déjeuner. J’essaye de lui faire faire une mosaïque pour notre Cathédrale. », lettre de Louis Trotabas à son fils Jean-Baptiste Trotabas, 2 avril 1979, Vence, archives Trotabas.
2 Voir le texte d’Ambre Gauthier dans le présent catalogue.
3 Yann Codou, Catherine Poteur et Jean-Claude Poteur, Églises médiévales des Alpes-Maritimes, Gand, Snoeck, 2020, p. 307-313.
4 Luc Thévenon « Décor et mobilier des cathédrales de Provence orientale aux XVIIe et XVIIIe siècles », Provence historique, n°259, 2016, p. 27.
5 Voir le texte de Grégory Couderc dans le présent catalogue.
6 Ancien Testament, Exode, II, 5-10.
7 Voir, à titre d’exemple, Noé et l’Arc-en-ciel, 1961-1966, huile sur toile, 205 × 292,5 cm, Nice, musée national Marc Chagall, inv. MBMC 5.
8 Jérôme Bouchet, « L’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, le plateau d’Assy, in Elia Biezunski, Chagall, le passeur de lumière, cat. exp. (Metz, Centre Pompidou-Metz, 21 novembre 2020-30 août 2021 ; Nice, Musée national Marc Chagall, 18 septembre 2021-10 janvier 2022), Metz, Éditions du Centre Pompidou-Metz, 2020, p. 39-45.
9 Voir le texte de Grégory Couderc dans le présent catalogue raisonné.
10 Louis Trotabas, « La mosaïque Moïse sauvé des eaux à la cathédrale de Vence », Bulletin des Amis du Message Biblique Marc Chagall, 1979, np.
11 « Inauguration dans la joie de Moïse sauvé des eaux, la mosaïque offerte à la cathédrale par Chagall » Nice-Matin, 17 décembre 1979.
Publié originellement dans le catalogue De pierre et de verre. Chagall en mosaïque 
© GrandPalaisRmn, Paris, 2025

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Œuvres liées

  • Marc CHAGALL, en collaboration avec Michel THARIN, Moïse sauvé des eaux, Cathédrale Notre-Dame de la Nativité, Vence, 1979, pierres et pâtes de verre, 235 x 170 cm, Cathédrale Notre-Dame de la Nativité, Vence © François Fernandez / GrandPalaisRmn/ADAGP, Paris, 2025

  • Marc CHAGALL, en collaboration avec Michel THARIN, Moïse sauvé des eaux, Cathédrale Notre-Dame de la Nativité, Vence, 1979, pierres et pâtes de verre, 235 x 170 cm, Cathédrale Notre-Dame de la Nativité, Vence © François Fernandez / GrandPalaisRmn/ADAGP, Paris, 2025