Amour

Les œuvres de Marc Chagall, peuplées d’amoureux, mettent en position centrale l’amour et l’union des êtres. Enlacés, volant dans le ciel ou dansant, les couples humains, animaux ou hybrides ponctuent les compositions et participent de la création d’un univers pictural où l’amour reflète l’aspiration à une unité originelle. Dès 1911-1912, les variations autour d’Adam et Ève et de l’Hommage à Apollinaire questionnent l’image de l’amour dans la complexité de la dualité et de la complémentarité homme-femme, le couple étant représenté par un être hybride à deux têtes sur un seul corps. Témoignant de la recherche d’une fusion idéalisée du masculin et du féminin, le thème trouve sa prolongation dans les doubles portraits ou doubles profils peints par l’artiste tout au long de sa carrière. Lié au mythe originel, le couple ne se veut pas uniquement image de l’amour, le paradis perdu et le péché originel pouvant exprimer un déséquilibre ou une menace sous-jacente. Dans Les Amoureux au poteau (1951), le couple d’amoureux est ainsi attaché à un poteau, semblant promis à un sacrifice prochain, l’amour à l’épreuve d’un monde instable et dangereux, à l’image du village inversé qui s’esquisse à l’arrière-plan. Fil conducteur pictural, la recherche de l’autre, de l’alter ego, prend également forme à travers les figures inspiratrices des femmes ayant partagé sa vie, Bella, Virginia et Vava. À travers de nombreuses représentations féminines, l’artiste interroge la complémentarité de deux êtres n’en formant plus qu’un, la place prépondérante de l’union et du mariage, à la fois sujets et éléments de composition. Dans Songes d’une nuit d’été (1939), une mariée en robe blanche est unie à un homme-bouc au regard alerte et à la singulière douceur, qui protège sa compagne de son étreinte resserrée. À l’image des reconnaissances inattendues entre les êtres, le couple puise son hybridité dans la mythologie antique et l’animisme de la culture populaire russe, prolongeant son exploration des formes et métamorphoses de l’amour. Plus tard, le cycle du Message Biblique (1960-1966), à travers de grandes toiles colorées, exposera au regard l’amour universel, à travers une grande narration biblique et humaniste.

L’atelier d’artiste est un thème récurrent de l’histoire de l’art, qu’il soit dessiné, peint ou photographié. Ce lieu fascine en tant que berceau du geste créateur, vision romantique de l’atelier héritée du XIXe siècle. Durant ce siècle, un véritable mythe se construit autour de la figure de l’artiste, admiré, qui devient « prescripteur de goût1 » pour la bourgeoisie et les bohèmes s’inspirant de son mode de vie, souvent fantasmé. Au début du XXe siècle, l’atelier devient alors un modèle architectural à Paris, inspirant de nouvelles constructions illuminées par de grandes verrières et une belle hauteur sous plafond, dans lesquelles la décoration poursuit cette recherche de la « vie bohème », créée par des mises en scène et des accumulations d’objets plus ou moins luxueux2. Plus tard, l’atelier de Chagall perpétue cette image et s’inscrit dans cette représentation mentale collective. Des photographies provenant des Archives Marc et Ida Chagall et les représentations de l’atelier permettent d’entrevoir l’atmosphère de ces espaces de création. Ces lieux sont en effet pluriels, suivant les nombreuses installations du peintre en Russie, en France, en Allemagne et en exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet espace de l’atelier, prenant de l’ampleur, a suivi l’évolution du statut social et de la reconnaissance de Chagall en tant qu’artiste, de son séjour à la Ruche de 1912 à 1914, une cité d’ateliers-logements du quartier de Vaugirard, jusqu’à la construction de la villa La Colline à Saint-Paul-de-Vence, où l’artiste s’installe en 1966. Ces lieux sont synonymes de rencontres et de collaborations lorsque Chagall aborde d’autres pratiques artistiques, ce qui transcende une vision très personnelle de l’atelier.

Les œuvres représentant son atelier permettent de mettre en lumière sa fonction et le rôle spécifique que lui assigne l’artiste. Chagall ne peint pas en plein air : « Je peignais à ma fenêtre, jamais je ne me promenais dans la rue avec ma boîte de couleurs », affirme-t-il dans Ma vie3. L’atelier est un lieu charnière, matérialisant la rencontre entre l’intérieur et l’extérieur, cristallisée par la fenêtre. De la même manière que l’autoportrait, ces représentations de l’atelier témoignent de la réflexion de Chagall sur son statut d’artiste, telle une fenêtre sur son monde.

1 Manuel Charpy, « Les ateliers d’artistes et leurs voisinages. Espaces et scènes urbaines des modes bourgeoises à Paris entre 1830-1914 », Histoire urbaine, vol. 26, n° 3, 2009, p. 43-68.

2 Ibid.

3 Marc Chagall, Ma vie, Paris, réédition Stock, 1983, p. 166, in Élisabeth Pacoud-Rème, « Chagall, fenêtres sur l’œuvre », in Chagall, un peintre à la fenêtre (cat. exp., Nice, Musée national Marc Chagall, 25 juin-13 octobre 2008, Münster, Graphikmuseum Pablo Picasso Münster, 13 novembre-4 mars 2009), Paris, Réunion des musées nationaux, 2008, p. 33.